10-05-2020, 07:43:57
Souvenirs de champs de bataille
La saison 1999-2000 du Limoges CSP ne ressemble à aucune autre. Vingt ans plus tard, les acteurs de cette aventure singulière fourmillent de souvenirs et dâanecdotes, ramenés des grands combats livrés cette année-là pour atteindre les sommets et réaliser un impensable triplé, Coupe Korac, Coupe de France et Championnat. Avant la relégation en Pro B.
Lâémotion affleure toujours. Il ne faut guère de temps aux héros de cette histoire insensée, tracée aux confins du réel et de lâimaginaire, pour faire rejaillir la flamme. Ãpris toujours, émus par le souvenir des souvenirs, ils déterrent, dépoussièrent, content cette vie de mort-vivant, la plus belle, la plus authentique, la plus puissante de toute leur carrière. De janvier à mai 2000, pendant plus de cinq mois, ils ont mené le Limoges CSP vers sa tombe en hurlant, tels des immortels. Alors, même si le temps a fait son Åuvre, si la mémoire a ébréché quelques détails, tous portent encore aujourdâhui une image, un instant, un bijou, un parfum de cette vie-là . Vingt ans plus tard, certains contours sont devenus un peu flous, mais le souvenir palpite encore, jamais perdu.
Ankara, voyage improbable
Pour tous, ce voyage à Ankara, le 14 février, dans le cadre du quart de finale retour de la Coupe Korac, est le parfait symbole de ce Limoges CSP. Avant ce déplacement en Turquie, tout est surréaliste. Le club survit au jour le jour, match après match. Mais cette fois, il semble cracher ses dernières gouttes de vie. à Beaublanc, le matin du départ, lors du dernier entraînement, les salaires de janvier ont joué à cache-cache dans une enveloppe kraft. Posée sur la table de marque pendant la séance, lâenveloppe a soudain disparu. Les banques ont eu peur, les joueurs devront patienter encore.
Le lendemain, dans le hall de lâaéroport de Roissy, lâaffaire nâest pas réglée. Lâimage est saisissante, celle dâune équipe, perdue en salle dâembarquement, attendant de savoir si elle pourra décoller pour la Turquie ! Le président, Jean-Paul de Peretti, se souvient parfaitement de ce jour-là . « On est au siège du club et mon directeur financier, Xavier Bonnafy, me dit : âOn ne part pas !â Il manquait environ 70 000 francs pour aller à Ankara. Il était 13 heures. On ne sâest pas parlés pendant une demi-heure. Puis je lui ai dit : âRappelez-les, on part, je me démerde !â»
Arrivés à Istanbul, les Limougeauds sont pourtant priés de faire demi-tour. Le club nâa pas lâargent pour les emmener en Anatolie centrale. Mais là encore, on force le destin et le CSP file tout de même à Ankara. Avant de partir, lâAméricain Marcus Brown passe au duty free et prévient gentiment lâhôtesse de caisse que sa carte bancaire manque peut-être de liquidités⦠Arrivée à Ankara, dans le car qui la transporte à lâhôtel, lâéquipe est informée que les salaires seront versés à leur retour. La vie reprend, pour quelques jours, mais encore faut-il se qualifier. Vainqueur à lâaller (71-57), Limoges a quatorze points dâavance. Dans une ambiance brûlante, sous les huées dâun public turc qui crache sa haine au sens propre du terme, le CSP, battu (75-67), en conservera six sur lâensemble des deux matches. « Ils crachent tout près du terrain, un truc de fou, raconte Jean-Philippe Méthélie. Ils nous mettent la pression, mais nous, on sâen fout. Là où on est, on sâen fout. »
Au moment de lâéchauffement dâavant-match, le minot Stéphane Dumas (21 ans), parti en éclaireur, retourne pourtant au vestiaire, livide. « Je suis le premier à sortir du tunnel, je me retourne et je vois cette salle pleine qui me hue. Jâai fait demi-tour et jâai dit : âHey les gars, il nây en a pas un ou deux qui veulent venir avec moi, je ne me sens pas dâaller shooter tout seul.â» Le CSP allait finalement sortir en groupe du vestiaire. « Câest notre force. On nây va pas la peur au ventre. Les mecs en face ne comprennent pas. Câest une machine, câest presque inhumain», dit Méthélie. Le soir, après la qualification, dans le car qui ramène le CSP à lâhôtel, le capitaine Yann Bonato demande au manager général, John Dearman : «John, ce soir, on dîne au champagne ? » Avant même la réponse, le coach, Dusko Ivanovic, sâest retourné : « Champagne ? On nâa rien gagné encore. »
« Le Petit Vin blanc » de Weis
Au cÅur de la tempête, le terrain est un exutoire. Mais lâéquipe a aussi besoin de se sentir vivante autrement. Les tourments, les angoisses ne sont jamais très loin. Le pivot limougeaud, Frédéric Weis, nâa que 22 ans, mais il aime pousser la chansonnette. Au soir dâun succès à Pau, le 29 janvier, capital et fondateur pour ce groupe, Weis, soudain, se libère. Dans lâavion du retour, il entonne à tue-tête « le Petit Vin blanc» devant tout le monde. Cette chanson de ginguette sera son grand cri toute la saison.
« Je suis un mec qui adore chanter. Je mâentendais très bien avec lâintendant, Guy Bost. Un jour, il se met à fredonner ça et je lui dis : âMais je la connais celle-là !â Il me vanne, il me dit que je ne suis pas capable de chanter cette chanson-là devant tout le monde. » Alors le « grand blond » va le prendre au mot. Il commence à la chanter devant trois, quatre personnes, puis dans lâavion du retour après la victoire en Béarn, avant la grande scène, devant 4 000 personnes à Beaublanc, pour la célébration du triplé magique ! « Sincèrement, Il nây a pas beaucoup de chanteurs qui peuvent se vanter dâavoir chanté devant 4 000 personnes, se marre Weis aujourdâhui. Cette chanson est devenue un peu mon hymne de cette saison. Câest une chanson que je pensais connaître, mais on mâa dit que je la disais mal, mais jâétais content de la chanter. Ãa faisait un peu le jeune qui chantait des chansons de vieux.» Il fallait donc un peu de vin dans le destin, cette année-là . Pour les repas dâéquipe, au restaurant, Bonato ne poussait pas la chansonnette, mais le verre de rosé nâétait jamais loin. Quant à Brown, lâarrière star du CSP, il ne comprenait pas tout à cette histoire, mais il se souvient aussi avoir ouvert une bonne bouteille de temps en temps. « Je ne sais plus trop si je buvais une bouteille de vin ou ce que je faisais vraiment pour ne pas me laisser emporter par lâinquiétude. Mais en tout cas, ça a marché », sourit-il aujourdâhui.
Bellegarde, 2 heures du mat, le retour des héros
De cette saison, les souvenirs les plus vivants sont ceux de la communion, de lâamour, des trajets retours. Quand, au bout de la route, à lâaéroport de Bellegarde, à la gare des Bénédictins, le peuple limougeaud était massé là , des larmes sur les joues, pour embrasser ses héros et les convaincre dâavancer encore. « Il y avait quelque chose de magique. Câétait comme une étreinte », se souvient joliment Brown. Le plus grand, le plus émouvant des retours « de front », fut sans conteste celui qui salua le premier des trois titres du CSP, décroché à Malaga, en finale de la Coupe Korac, le 29 mars 2000.
Battu en Andalousie (60-51), Limoges décrochait tout de même sa troisième Coupe Korac de lâhistoire, après son large succès à lâaller (80-58). Il est un peu plus de 2 heures du matin quand lâavion du CSP se pose. Dans le petit aéroport, ils sont plus de 3 000, agglutinés dans le hall ou dehors dans le froid à attendre. « Lâaéroport est plein à craquer. Je vois la tête de Franck Butter qui dépasse. Il est là , comme une sardine au milieu de tout le monde, comme un supporter lambda, alors que pour moi, câest le champion dâEurope (1993)», raconte Dumas.
à lâétage, les joueurs présentent le trophée, le capitaine Bonato prend la parole, clame quâils iront en chercher dâautres. En bas, le peuple a les yeux et le cÅur au ciel. Les joueurs iront ensuite à la fenêtre pour nâoublier personne et saluer ceux qui étaient restés dehors. « Mes parents étaient là », se souvient, ému, Dumas. « Et pourtant, à 2 heures du mat, fin mars, il ne fait pas chaud à Bellegarde. Câétait très fort. Câest là que lâon se rend compte que les gens sont amoureux », glisse Méthélie.
Il y a aussi le retour en train, de Paris à Limoges, après la victoire en finale de la Coupe de France à Bercy face au PSG Racing (79-73). Là , ce nâest plus une communion, câest une union. « Câétait le train CSP, et pourtant le train nâavait pas été privatisé ! Je ne pensais pas que ça existait », se remémore Weis. Les joueurs passent de wagon en wagon et la fête est monumentale. «On est parti en live, on fait des allers-retours sur toute la rame, en tapant dans les mains des gens, en les enlaçant, câest nâimporte quoi ! », rit David Frigout. Dans cette folle farandole, à un moment, une femme lâinterpelle. « Elle me dit : âIl faut encore gagner, il faut aller chercher le titre de champion, ce nâest pas fini !â Sur le coup, je suis choqué, jâai envie de lui dire : âHey, Janine, laisse-nous respirer et profiter un peu !â Quelques instants après, je me dis quâelle a raisonâ¦Â»
Méthélie, cinéaste de lâaventure
Très vite, un homme va renifler lâair de lâexploit, de celui que lâon met en boîte et dont on ne se sépare jamais. Jean-Philippe Méthélie est le plus ancien de la bande et le seul de lâéquipe à avoir gagné des titres jusque-là . « Il a lâexpérience des vies de groupe et il a très vite senti quâil se passait quelque chose dâincroyable, de pas ordinaire», raconte Bonato. Alors lâAntillais, amuseur et boute-en-train, dégaine sa caméra DV et son appareil photo dès le mois de février, alors que le CSP a un pied dans le vide. «Je sens que cette aventure est énorme. Je commence à filmer à Ankara, je prends des photos aussi. Je filme dans les chambres des mecs pendant la sieste, ça me paraît important de le faire. Je sens quâon est forts, quâon nâa peur de rien. Ãa fait partie de mon rôle, je mets un peu lâambiance, je dis plein de conneries, câest moi », explique Méthélie. Il filme la vie, les vestiaires, les voyages. « Sous la douche aussi, évidemment ! Ãa faisait partie de la vie du groupe. Il y avait un jacuzzi, on se foutait à poil dans le jacuzzi ! Ce film est destiné au groupe, câest lâintime de ce groupe. La cassette que jâai faite, ce nâest pas pour tout le monde, câest pour nous », justifie le Martiniquais, qui en offrira une copie à chacun de ses partenaires à la fin de la saison. « Ce que lâon a vécu, ça ne peut plus exister et câest ce qui le rend dâautant plus précieux », dit-il.
Cette histoire est improbable, unique, à tel point que François Chevalier et Jérémy Le Bescont en ont fait un livre de 304 pages pour la conter dans les moindres détails : Bonnes vacances ! La trilogie du CSP 2000 , à paraître aux Ãditions Entorse le 27 mai prochain. Dumas, lui, se rappelle encore du dernier tournage, il y a vingt ans. « Dans mon esprit, la saison avec lâéquipe sâarrête dans le car qui nous ramène à lâaéroport de Lyon, après le titre de champion gagné à lâAsvel. Là , il y a Méthélie qui dit, comme Jordan avec les Bulls : âLes gars, on va à Disneyland !â Et Bonato qui répond : âCâest incroyable ce quâon a fait.â Pour moi, tout sâest fini là .»
La saison 1999-2000 du Limoges CSP ne ressemble à aucune autre. Vingt ans plus tard, les acteurs de cette aventure singulière fourmillent de souvenirs et dâanecdotes, ramenés des grands combats livrés cette année-là pour atteindre les sommets et réaliser un impensable triplé, Coupe Korac, Coupe de France et Championnat. Avant la relégation en Pro B.
Lâémotion affleure toujours. Il ne faut guère de temps aux héros de cette histoire insensée, tracée aux confins du réel et de lâimaginaire, pour faire rejaillir la flamme. Ãpris toujours, émus par le souvenir des souvenirs, ils déterrent, dépoussièrent, content cette vie de mort-vivant, la plus belle, la plus authentique, la plus puissante de toute leur carrière. De janvier à mai 2000, pendant plus de cinq mois, ils ont mené le Limoges CSP vers sa tombe en hurlant, tels des immortels. Alors, même si le temps a fait son Åuvre, si la mémoire a ébréché quelques détails, tous portent encore aujourdâhui une image, un instant, un bijou, un parfum de cette vie-là . Vingt ans plus tard, certains contours sont devenus un peu flous, mais le souvenir palpite encore, jamais perdu.
Ankara, voyage improbable
Pour tous, ce voyage à Ankara, le 14 février, dans le cadre du quart de finale retour de la Coupe Korac, est le parfait symbole de ce Limoges CSP. Avant ce déplacement en Turquie, tout est surréaliste. Le club survit au jour le jour, match après match. Mais cette fois, il semble cracher ses dernières gouttes de vie. à Beaublanc, le matin du départ, lors du dernier entraînement, les salaires de janvier ont joué à cache-cache dans une enveloppe kraft. Posée sur la table de marque pendant la séance, lâenveloppe a soudain disparu. Les banques ont eu peur, les joueurs devront patienter encore.
Le lendemain, dans le hall de lâaéroport de Roissy, lâaffaire nâest pas réglée. Lâimage est saisissante, celle dâune équipe, perdue en salle dâembarquement, attendant de savoir si elle pourra décoller pour la Turquie ! Le président, Jean-Paul de Peretti, se souvient parfaitement de ce jour-là . « On est au siège du club et mon directeur financier, Xavier Bonnafy, me dit : âOn ne part pas !â Il manquait environ 70 000 francs pour aller à Ankara. Il était 13 heures. On ne sâest pas parlés pendant une demi-heure. Puis je lui ai dit : âRappelez-les, on part, je me démerde !â»
Arrivés à Istanbul, les Limougeauds sont pourtant priés de faire demi-tour. Le club nâa pas lâargent pour les emmener en Anatolie centrale. Mais là encore, on force le destin et le CSP file tout de même à Ankara. Avant de partir, lâAméricain Marcus Brown passe au duty free et prévient gentiment lâhôtesse de caisse que sa carte bancaire manque peut-être de liquidités⦠Arrivée à Ankara, dans le car qui la transporte à lâhôtel, lâéquipe est informée que les salaires seront versés à leur retour. La vie reprend, pour quelques jours, mais encore faut-il se qualifier. Vainqueur à lâaller (71-57), Limoges a quatorze points dâavance. Dans une ambiance brûlante, sous les huées dâun public turc qui crache sa haine au sens propre du terme, le CSP, battu (75-67), en conservera six sur lâensemble des deux matches. « Ils crachent tout près du terrain, un truc de fou, raconte Jean-Philippe Méthélie. Ils nous mettent la pression, mais nous, on sâen fout. Là où on est, on sâen fout. »
Au moment de lâéchauffement dâavant-match, le minot Stéphane Dumas (21 ans), parti en éclaireur, retourne pourtant au vestiaire, livide. « Je suis le premier à sortir du tunnel, je me retourne et je vois cette salle pleine qui me hue. Jâai fait demi-tour et jâai dit : âHey les gars, il nây en a pas un ou deux qui veulent venir avec moi, je ne me sens pas dâaller shooter tout seul.â» Le CSP allait finalement sortir en groupe du vestiaire. « Câest notre force. On nây va pas la peur au ventre. Les mecs en face ne comprennent pas. Câest une machine, câest presque inhumain», dit Méthélie. Le soir, après la qualification, dans le car qui ramène le CSP à lâhôtel, le capitaine Yann Bonato demande au manager général, John Dearman : «John, ce soir, on dîne au champagne ? » Avant même la réponse, le coach, Dusko Ivanovic, sâest retourné : « Champagne ? On nâa rien gagné encore. »
« Le Petit Vin blanc » de Weis
Au cÅur de la tempête, le terrain est un exutoire. Mais lâéquipe a aussi besoin de se sentir vivante autrement. Les tourments, les angoisses ne sont jamais très loin. Le pivot limougeaud, Frédéric Weis, nâa que 22 ans, mais il aime pousser la chansonnette. Au soir dâun succès à Pau, le 29 janvier, capital et fondateur pour ce groupe, Weis, soudain, se libère. Dans lâavion du retour, il entonne à tue-tête « le Petit Vin blanc» devant tout le monde. Cette chanson de ginguette sera son grand cri toute la saison.
« Je suis un mec qui adore chanter. Je mâentendais très bien avec lâintendant, Guy Bost. Un jour, il se met à fredonner ça et je lui dis : âMais je la connais celle-là !â Il me vanne, il me dit que je ne suis pas capable de chanter cette chanson-là devant tout le monde. » Alors le « grand blond » va le prendre au mot. Il commence à la chanter devant trois, quatre personnes, puis dans lâavion du retour après la victoire en Béarn, avant la grande scène, devant 4 000 personnes à Beaublanc, pour la célébration du triplé magique ! « Sincèrement, Il nây a pas beaucoup de chanteurs qui peuvent se vanter dâavoir chanté devant 4 000 personnes, se marre Weis aujourdâhui. Cette chanson est devenue un peu mon hymne de cette saison. Câest une chanson que je pensais connaître, mais on mâa dit que je la disais mal, mais jâétais content de la chanter. Ãa faisait un peu le jeune qui chantait des chansons de vieux.» Il fallait donc un peu de vin dans le destin, cette année-là . Pour les repas dâéquipe, au restaurant, Bonato ne poussait pas la chansonnette, mais le verre de rosé nâétait jamais loin. Quant à Brown, lâarrière star du CSP, il ne comprenait pas tout à cette histoire, mais il se souvient aussi avoir ouvert une bonne bouteille de temps en temps. « Je ne sais plus trop si je buvais une bouteille de vin ou ce que je faisais vraiment pour ne pas me laisser emporter par lâinquiétude. Mais en tout cas, ça a marché », sourit-il aujourdâhui.
Bellegarde, 2 heures du mat, le retour des héros
De cette saison, les souvenirs les plus vivants sont ceux de la communion, de lâamour, des trajets retours. Quand, au bout de la route, à lâaéroport de Bellegarde, à la gare des Bénédictins, le peuple limougeaud était massé là , des larmes sur les joues, pour embrasser ses héros et les convaincre dâavancer encore. « Il y avait quelque chose de magique. Câétait comme une étreinte », se souvient joliment Brown. Le plus grand, le plus émouvant des retours « de front », fut sans conteste celui qui salua le premier des trois titres du CSP, décroché à Malaga, en finale de la Coupe Korac, le 29 mars 2000.
Battu en Andalousie (60-51), Limoges décrochait tout de même sa troisième Coupe Korac de lâhistoire, après son large succès à lâaller (80-58). Il est un peu plus de 2 heures du matin quand lâavion du CSP se pose. Dans le petit aéroport, ils sont plus de 3 000, agglutinés dans le hall ou dehors dans le froid à attendre. « Lâaéroport est plein à craquer. Je vois la tête de Franck Butter qui dépasse. Il est là , comme une sardine au milieu de tout le monde, comme un supporter lambda, alors que pour moi, câest le champion dâEurope (1993)», raconte Dumas.
à lâétage, les joueurs présentent le trophée, le capitaine Bonato prend la parole, clame quâils iront en chercher dâautres. En bas, le peuple a les yeux et le cÅur au ciel. Les joueurs iront ensuite à la fenêtre pour nâoublier personne et saluer ceux qui étaient restés dehors. « Mes parents étaient là », se souvient, ému, Dumas. « Et pourtant, à 2 heures du mat, fin mars, il ne fait pas chaud à Bellegarde. Câétait très fort. Câest là que lâon se rend compte que les gens sont amoureux », glisse Méthélie.
Il y a aussi le retour en train, de Paris à Limoges, après la victoire en finale de la Coupe de France à Bercy face au PSG Racing (79-73). Là , ce nâest plus une communion, câest une union. « Câétait le train CSP, et pourtant le train nâavait pas été privatisé ! Je ne pensais pas que ça existait », se remémore Weis. Les joueurs passent de wagon en wagon et la fête est monumentale. «On est parti en live, on fait des allers-retours sur toute la rame, en tapant dans les mains des gens, en les enlaçant, câest nâimporte quoi ! », rit David Frigout. Dans cette folle farandole, à un moment, une femme lâinterpelle. « Elle me dit : âIl faut encore gagner, il faut aller chercher le titre de champion, ce nâest pas fini !â Sur le coup, je suis choqué, jâai envie de lui dire : âHey, Janine, laisse-nous respirer et profiter un peu !â Quelques instants après, je me dis quâelle a raisonâ¦Â»
Méthélie, cinéaste de lâaventure
Très vite, un homme va renifler lâair de lâexploit, de celui que lâon met en boîte et dont on ne se sépare jamais. Jean-Philippe Méthélie est le plus ancien de la bande et le seul de lâéquipe à avoir gagné des titres jusque-là . « Il a lâexpérience des vies de groupe et il a très vite senti quâil se passait quelque chose dâincroyable, de pas ordinaire», raconte Bonato. Alors lâAntillais, amuseur et boute-en-train, dégaine sa caméra DV et son appareil photo dès le mois de février, alors que le CSP a un pied dans le vide. «Je sens que cette aventure est énorme. Je commence à filmer à Ankara, je prends des photos aussi. Je filme dans les chambres des mecs pendant la sieste, ça me paraît important de le faire. Je sens quâon est forts, quâon nâa peur de rien. Ãa fait partie de mon rôle, je mets un peu lâambiance, je dis plein de conneries, câest moi », explique Méthélie. Il filme la vie, les vestiaires, les voyages. « Sous la douche aussi, évidemment ! Ãa faisait partie de la vie du groupe. Il y avait un jacuzzi, on se foutait à poil dans le jacuzzi ! Ce film est destiné au groupe, câest lâintime de ce groupe. La cassette que jâai faite, ce nâest pas pour tout le monde, câest pour nous », justifie le Martiniquais, qui en offrira une copie à chacun de ses partenaires à la fin de la saison. « Ce que lâon a vécu, ça ne peut plus exister et câest ce qui le rend dâautant plus précieux », dit-il.
Cette histoire est improbable, unique, à tel point que François Chevalier et Jérémy Le Bescont en ont fait un livre de 304 pages pour la conter dans les moindres détails : Bonnes vacances ! La trilogie du CSP 2000 , à paraître aux Ãditions Entorse le 27 mai prochain. Dumas, lui, se rappelle encore du dernier tournage, il y a vingt ans. « Dans mon esprit, la saison avec lâéquipe sâarrête dans le car qui nous ramène à lâaéroport de Lyon, après le titre de champion gagné à lâAsvel. Là , il y a Méthélie qui dit, comme Jordan avec les Bulls : âLes gars, on va à Disneyland !â Et Bonato qui répond : âCâest incroyable ce quâon a fait.â Pour moi, tout sâest fini là .»
Un grand club ne meurt jamais.