09-05-2020, 11:13:41
Bonato, la flamme dâune vie
Talent majeur et capitaine fondamental de lâépopée du CSP en 2000, lâailier sâest totalement révélé à lui-même cette saison-là . En pleine tempête, lâattaquant soliste sâest mué en un meneur dâhommes exemplaire, engagé et altruiste, portant la vie, les angoisses et les rêves du vestiaire et de tout le peuple limougeaud.
Vingt ans ont passé, mais il cherche toujours. Avec un certain délice, une réelle fierté aussi. Lâaventure 1999-2000 du Limoges CSP, pour Yann Bonato, câest la flamme dâune vie. Câest, dans sa plus majestueuse expression, au plus profond de son être, ce pourquoi il était véritablement fait, ce pourquoi il était là finalement, sur ces planches de bois, quâil battait autrefois dâun pas de soliste effronté, sans but précis, sans trop savoir où cela allait lâemmener.
Cette année-là , dès lors que la vie du club a basculé, que les façades de la cathédrale se sont fissurées, le capitaine est resté digne et debout. Il sâest élevé, dans un regard féroce, une posture nouvelle. Dâun doigt tendu, il a montré le chemin et tous ont suivi. Son altruisme, comme une offrande soudaine, a embrasé le vestiaire, Beaublanc, les villes et les campagnes alentour. Sans jamais se départir de son côté révolutionnaire, le bras levé, dépoitraillé et les jambes en travers, fonçant jusquâau dernier souffle sur les barricades adverses, Bonato a donné à sa carrière et à sa vie dâhomme une dimension unique, humaine, presque mystique, quâil nâavait sans doute jamais effleurée auparavant.
Son jeune partenaire à lâépoque de ces hauts faits, Stéphane Dumas, pose un temps de silence et dit aujourdâhui, comme on signe un livre dâor : « Le club, pour moi, câétait Yann ». Ces derniers jours, Bonato a creusé. Pour déterrer les raisons profondes, les racines qui lâont fait ainsi en 2000. Une introspection, pour une révélation, vingt ans après. « Je nâaime pas trop gratter mon cerveau qui est un petit peu fragile », sourit-il. « Mais dâaprès moi, objectivement, le changement se fait à lâétranger. Limoges oui, mais si on parle de changement, de prise de conscience, de maturation, câest à lâétranger. » En Italie, précisément. à Pesaro en 1997-1998, puis à Reggio Emilia la saison suivante. Là -bas, lui lâattaquant qui faisait danser les défenseurs du Championnat de France sous le maillot du PSG et de Limoges première version, à plus de vingt points de moyenne, les quatre années précédentes, se retrouve à lâisolement. à Pesaro notamment, lâhistoire est assez violente. Bonato passe même tout près dâun drame, au retour dâun déplacement à Rimini. « On a pris une trempe, on rentre en car. On se retrouve les trois étrangers au fond, Troy Truvillion, Andrés Guibert et moi », raconte lâailier français. « à lâarrivée, il y a une centaine de supporters âtrès en formeâ qui nous attendent. On se retrouve comme dans les mauvais films de série B, dos à dos avec ces personnes avinées qui veulent nous punir ! Alors, pour échapper à ce guet-apens, Guibert sort un énorme couteau et le met sous la gorge dâun supporter ! On repart en voiture en tremblant et je me dis : ce nâest pas possible, ce nâest pas ce que je veux faire. Tu es un peu seul au monde, enfermé en dehors de chez toi. Je commence à me poser des questions, notamment des questions sur le sens que jâai envie de donner à ma carrière. Et je me rends compte que là , ça nâa plus de sens. Est-ce que je reste le bon petit mercenaire des familles ou est-ce que je construis quelque chose ? »
Reste à trouver la planche de salut, le terrain dâexpression. Câest Didier Rose qui va lui offrir, dans des circonstances croustillantes, mais finalement tellement « limougeaudes ». Lâinfluent personnage au CSP est en effet lâex-agent de Bonato, avec lequel le joueur est à lâépoque en procès. Alors quand Rose le hèle, lâinternational français se rend en Limousin pour déblayer, pense-t-il, lâaffaire judiciaire. «La rencontre est surréaliste. Il me propose de revenir à Limoges, me parle de reconstruire, de ci et de ça. Câest la quatrième dimension. Je pensais que câétait pour la procédure ! Je lui donne mes conditions : un contrat à long terme, car jâai envie dâengagement, et être le capitaine du bateau. Je rentre à la maison, jâen parle à Lise (sa femme) et je me dis que câest dans la démarche, que cette équipe à reconstruire peut, naturellement, devenir mon équipe. Je dis banco. Je suis dans mes baskets, dans mon choix. Je rentre à Limoges pour donner du sens. »
Il va faire bien plus que cela. Sur les ruines dâun club, dans lâintimité dâun vestiaire tourmenté qui se raccroche à ses mots, il va édifier une forteresse. Dusko Ivanovic, le coach, en est le gardien technique, Bonato en est lââme, le symbole, le porte-parole. Plus les jours rapetissent, plus lâespoir sâégrène, plus il occupe la place. Après un déplacement à Antibes fin janvier, le club semble pousser son dernier râle. Le président, Jean-Paul De Peretti, nây parvient plus et jette lâéponge. Sur le parking, dans sa voiture, Bonato, qui a claqué 26 points sur la Côte dâAzur la veille, passe une heure à le convaincre de se battre encore. Ses journées nâont plus de fin. Il est le premier à lâentraînement, lui le Cannois qui se baladait torse nu sous sa salopette à vingt piges et qui nâétait pas le plus acharné au travail avec Antibes. Un jour, lâAméricain Marcus Brown, laminé par les entraînements dâIvanovic, le genou gonflé, claque la porte en plein milieu dâune séance. Le coach sâinsurge : « Marcus a trahi le groupe, il ne reviendra pas », assène-t-il. Bonato le fixe et menace : «Si Marcus ne revient pas, le groupe sâarrête là . »
Il est le lien, le relais médiatique, le psy, le remède, le fil de lâespoir. « Jâaurais été incapable de faire ce quâil a fait. Dépenser une telle énergie sur et en dehors du terrain. On sortait tous rincés des entraînements et lui repartait au téléphone, pour faire avancer les choses. La dépense dâénergie, le cerveau, lâaptitude quâil fallait avoir, ce nâest pas donné à tout le monde », relate son ex-partenaire David Frigout aujourdâhui. « Yann a été capable de nous faire traverser le pont. Il a fait le trait dâunion. Pour moi, il a joué le rôle de capitaine dans sa plus grande expression. Ce nâest pas facile. On a tous en nous une part dâégoïsme, pour être le gars qui va faire la différence. Câest normal. Ãtre capitaine, ce nâest pas un job facile, ça ne te rend pas populaire. Tu dois trancher, tu ne vas pas te faire aimer de tout le monde. Yann, cette année-là , a tenu ce rôle à la perfection », exprime Marcus Brown.
Bonato ne subit rien. Au contraire, il sâabreuve. « Jâendosse ce rôle qui me nourrit», avoue-t-il maintenant. Sans arrière-pensées, pour protéger sa « tribu » et lui offrir la plus belle des aventures. Partout, les mots se chevauchent pour lui élever une statue. « Bonatâ » est un homme de la ville, qui aime prendre son café matinal sur les petites places du centre-ville de Limoges. Là , une vieille dame verse une larme et le prend dans ses bras, une autre lui offre une bouteille de vin, un pâté maison⦠Le vilain petit canard, comme il se définissait jadis, a quitté la mare. Bonato pense à ses hommes. Il ne bâtit plus sur du sable mais sur de folles idées. à lâimage de cette proposition de réduction de salaire quâil envoie, un jour dâhiver et de grosse tempête, à la face de ses partenaires dans le secret du vestiaire de Beaublanc. « Quand ça part en sucette, je me dis merde⦠On part dans lâirrationnel, la fête est finie. à ce jour, je ne sais toujours pas pourquoi jâai cette idée. Objectivement, câest un peu nâimporte quoi ! Câest totalement déraisonnable. Mais je crois que câest de lâamour. Et en amour, tu ne fais pas toujours que des choses raisonnables», estime-t-il aujourdâhui.
Le vestiaire adhère, le groupe suit et ferme les yeux sur les mensonges de son capitaine. Car tous savent que Bonato leur cache des choses, pour la bonne cause. « Yann, câest notre leader. Câest notrecommandant, notre capitaine, celui quâon suit. Il y a de la manipulation, Yann nous a manipulés. On nâest pas dupes, mais on ne veut pas tout savoir. Il y a une confiance aveugle », raconte joliment, Jean-Philippe Méthélie, subjugué par la transformation dâun garçon sur lequel il a défendu par le passé et quâil ne reconnaît pas. « Yann au départ, câest un mec individualiste. Quand on le voit au début de sa carrière, on ne le soupçonne pas comme ça. Un gars comme (Laurent) Sciarra, meneur de jeu, il était plus typé pour ça. Jâai défendu sur lui quand il jouait à Paris. Le type, il voulait toutes les balles ! Là , il est dans lâabnégation et le don de soi, on ne peut pas faire mieux. »
Son jeune équipier, Frédéric Weis, nâest pourtant pas étonné par la dimension collective de Bonato cette année-là . Il lâa côtoyé lors de son premier passage au CSP (1995-1997) et le pivot français avait décelé les bons germes. « Je ne suis pas surpris par lâattitude de Bonatâ. Ma première année à Limoges, câest lui qui mâemmenait tous les matins à lâentraînement et me posait le soir devant chez moi. Il a toujours été altruiste. En 2000, je lâai suivi très facilement car je savais âquâil ne me ferait pas de malâ », glisse Weis, dans un sourire.
Bonato va emmener les siens au bout, vers un triplé magique, lui qui nâavait encore jamais décroché un seul titre collectif ! Dans un dernier acte presque symbolique, lui lâattaquant né va sâarracher comme un damné en défense sur Jay Larranaga, le shooteur de lâAsvel, lors du match dâappui qui sacre le CSP champion de France le 27 mai (66-78). La bouche ouverte, il cherche lâair, il nâen a plus. « à la fin, il avait des plaques dâhématomes qui sortaient sur ses jambes, comme ça, sans raison particulière, sans quâil nâait reçu de coups», se souvient Frigout. Le joueur est vidé, mais lâhomme est riche désormais. Lors de la présentation des deux équipes de France, peu de temps après dans un vaste auditorium, lâassemblée se lève et lâovationne. « Je me souviens, je ne suis pas bien. On vient de nous sanctionner (le club a été rétrogradé en Pro B) et ces mêmes gens mâapplaudissent. Tu sentais que lâon avait fait un truc et jâen étais le symbole », dit-il.
Quelques mois plus tard, en quarts de finale des JO de Sydney face au Canada, le corps de Bonato va céder. Il se rompt le tendon dâAchille pour avoir tant donné. à lâAsvel, en 2002, il sera à nouveau champion de France. Mais la suite nâa plus rien à voir. « Ce titre avec lâAsvel, câest le devoir accompli », résume-t-il, en une phrase, sans autre émotion. Limoges, en revanche, câest tous les jours, à chaque instant.
Bonato y vit, il est chef dâentreprise, à la tête de dix-sept salariés et de trois magasins franchisés Alain Afflelou. « Vivre, incarner une idée, un club, câest incomparable. Câest la bascule dans ma carrière, ma vie », confesse-t-il. 2000 est la flamme dâune vie, elle ne sâéteindra jamaisâ¦
Talent majeur et capitaine fondamental de lâépopée du CSP en 2000, lâailier sâest totalement révélé à lui-même cette saison-là . En pleine tempête, lâattaquant soliste sâest mué en un meneur dâhommes exemplaire, engagé et altruiste, portant la vie, les angoisses et les rêves du vestiaire et de tout le peuple limougeaud.
Vingt ans ont passé, mais il cherche toujours. Avec un certain délice, une réelle fierté aussi. Lâaventure 1999-2000 du Limoges CSP, pour Yann Bonato, câest la flamme dâune vie. Câest, dans sa plus majestueuse expression, au plus profond de son être, ce pourquoi il était véritablement fait, ce pourquoi il était là finalement, sur ces planches de bois, quâil battait autrefois dâun pas de soliste effronté, sans but précis, sans trop savoir où cela allait lâemmener.
Cette année-là , dès lors que la vie du club a basculé, que les façades de la cathédrale se sont fissurées, le capitaine est resté digne et debout. Il sâest élevé, dans un regard féroce, une posture nouvelle. Dâun doigt tendu, il a montré le chemin et tous ont suivi. Son altruisme, comme une offrande soudaine, a embrasé le vestiaire, Beaublanc, les villes et les campagnes alentour. Sans jamais se départir de son côté révolutionnaire, le bras levé, dépoitraillé et les jambes en travers, fonçant jusquâau dernier souffle sur les barricades adverses, Bonato a donné à sa carrière et à sa vie dâhomme une dimension unique, humaine, presque mystique, quâil nâavait sans doute jamais effleurée auparavant.
Son jeune partenaire à lâépoque de ces hauts faits, Stéphane Dumas, pose un temps de silence et dit aujourdâhui, comme on signe un livre dâor : « Le club, pour moi, câétait Yann ». Ces derniers jours, Bonato a creusé. Pour déterrer les raisons profondes, les racines qui lâont fait ainsi en 2000. Une introspection, pour une révélation, vingt ans après. « Je nâaime pas trop gratter mon cerveau qui est un petit peu fragile », sourit-il. « Mais dâaprès moi, objectivement, le changement se fait à lâétranger. Limoges oui, mais si on parle de changement, de prise de conscience, de maturation, câest à lâétranger. » En Italie, précisément. à Pesaro en 1997-1998, puis à Reggio Emilia la saison suivante. Là -bas, lui lâattaquant qui faisait danser les défenseurs du Championnat de France sous le maillot du PSG et de Limoges première version, à plus de vingt points de moyenne, les quatre années précédentes, se retrouve à lâisolement. à Pesaro notamment, lâhistoire est assez violente. Bonato passe même tout près dâun drame, au retour dâun déplacement à Rimini. « On a pris une trempe, on rentre en car. On se retrouve les trois étrangers au fond, Troy Truvillion, Andrés Guibert et moi », raconte lâailier français. « à lâarrivée, il y a une centaine de supporters âtrès en formeâ qui nous attendent. On se retrouve comme dans les mauvais films de série B, dos à dos avec ces personnes avinées qui veulent nous punir ! Alors, pour échapper à ce guet-apens, Guibert sort un énorme couteau et le met sous la gorge dâun supporter ! On repart en voiture en tremblant et je me dis : ce nâest pas possible, ce nâest pas ce que je veux faire. Tu es un peu seul au monde, enfermé en dehors de chez toi. Je commence à me poser des questions, notamment des questions sur le sens que jâai envie de donner à ma carrière. Et je me rends compte que là , ça nâa plus de sens. Est-ce que je reste le bon petit mercenaire des familles ou est-ce que je construis quelque chose ? »
Reste à trouver la planche de salut, le terrain dâexpression. Câest Didier Rose qui va lui offrir, dans des circonstances croustillantes, mais finalement tellement « limougeaudes ». Lâinfluent personnage au CSP est en effet lâex-agent de Bonato, avec lequel le joueur est à lâépoque en procès. Alors quand Rose le hèle, lâinternational français se rend en Limousin pour déblayer, pense-t-il, lâaffaire judiciaire. «La rencontre est surréaliste. Il me propose de revenir à Limoges, me parle de reconstruire, de ci et de ça. Câest la quatrième dimension. Je pensais que câétait pour la procédure ! Je lui donne mes conditions : un contrat à long terme, car jâai envie dâengagement, et être le capitaine du bateau. Je rentre à la maison, jâen parle à Lise (sa femme) et je me dis que câest dans la démarche, que cette équipe à reconstruire peut, naturellement, devenir mon équipe. Je dis banco. Je suis dans mes baskets, dans mon choix. Je rentre à Limoges pour donner du sens. »
Il va faire bien plus que cela. Sur les ruines dâun club, dans lâintimité dâun vestiaire tourmenté qui se raccroche à ses mots, il va édifier une forteresse. Dusko Ivanovic, le coach, en est le gardien technique, Bonato en est lââme, le symbole, le porte-parole. Plus les jours rapetissent, plus lâespoir sâégrène, plus il occupe la place. Après un déplacement à Antibes fin janvier, le club semble pousser son dernier râle. Le président, Jean-Paul De Peretti, nây parvient plus et jette lâéponge. Sur le parking, dans sa voiture, Bonato, qui a claqué 26 points sur la Côte dâAzur la veille, passe une heure à le convaincre de se battre encore. Ses journées nâont plus de fin. Il est le premier à lâentraînement, lui le Cannois qui se baladait torse nu sous sa salopette à vingt piges et qui nâétait pas le plus acharné au travail avec Antibes. Un jour, lâAméricain Marcus Brown, laminé par les entraînements dâIvanovic, le genou gonflé, claque la porte en plein milieu dâune séance. Le coach sâinsurge : « Marcus a trahi le groupe, il ne reviendra pas », assène-t-il. Bonato le fixe et menace : «Si Marcus ne revient pas, le groupe sâarrête là . »
Il est le lien, le relais médiatique, le psy, le remède, le fil de lâespoir. « Jâaurais été incapable de faire ce quâil a fait. Dépenser une telle énergie sur et en dehors du terrain. On sortait tous rincés des entraînements et lui repartait au téléphone, pour faire avancer les choses. La dépense dâénergie, le cerveau, lâaptitude quâil fallait avoir, ce nâest pas donné à tout le monde », relate son ex-partenaire David Frigout aujourdâhui. « Yann a été capable de nous faire traverser le pont. Il a fait le trait dâunion. Pour moi, il a joué le rôle de capitaine dans sa plus grande expression. Ce nâest pas facile. On a tous en nous une part dâégoïsme, pour être le gars qui va faire la différence. Câest normal. Ãtre capitaine, ce nâest pas un job facile, ça ne te rend pas populaire. Tu dois trancher, tu ne vas pas te faire aimer de tout le monde. Yann, cette année-là , a tenu ce rôle à la perfection », exprime Marcus Brown.
Bonato ne subit rien. Au contraire, il sâabreuve. « Jâendosse ce rôle qui me nourrit», avoue-t-il maintenant. Sans arrière-pensées, pour protéger sa « tribu » et lui offrir la plus belle des aventures. Partout, les mots se chevauchent pour lui élever une statue. « Bonatâ » est un homme de la ville, qui aime prendre son café matinal sur les petites places du centre-ville de Limoges. Là , une vieille dame verse une larme et le prend dans ses bras, une autre lui offre une bouteille de vin, un pâté maison⦠Le vilain petit canard, comme il se définissait jadis, a quitté la mare. Bonato pense à ses hommes. Il ne bâtit plus sur du sable mais sur de folles idées. à lâimage de cette proposition de réduction de salaire quâil envoie, un jour dâhiver et de grosse tempête, à la face de ses partenaires dans le secret du vestiaire de Beaublanc. « Quand ça part en sucette, je me dis merde⦠On part dans lâirrationnel, la fête est finie. à ce jour, je ne sais toujours pas pourquoi jâai cette idée. Objectivement, câest un peu nâimporte quoi ! Câest totalement déraisonnable. Mais je crois que câest de lâamour. Et en amour, tu ne fais pas toujours que des choses raisonnables», estime-t-il aujourdâhui.
Le vestiaire adhère, le groupe suit et ferme les yeux sur les mensonges de son capitaine. Car tous savent que Bonato leur cache des choses, pour la bonne cause. « Yann, câest notre leader. Câest notrecommandant, notre capitaine, celui quâon suit. Il y a de la manipulation, Yann nous a manipulés. On nâest pas dupes, mais on ne veut pas tout savoir. Il y a une confiance aveugle », raconte joliment, Jean-Philippe Méthélie, subjugué par la transformation dâun garçon sur lequel il a défendu par le passé et quâil ne reconnaît pas. « Yann au départ, câest un mec individualiste. Quand on le voit au début de sa carrière, on ne le soupçonne pas comme ça. Un gars comme (Laurent) Sciarra, meneur de jeu, il était plus typé pour ça. Jâai défendu sur lui quand il jouait à Paris. Le type, il voulait toutes les balles ! Là , il est dans lâabnégation et le don de soi, on ne peut pas faire mieux. »
Son jeune équipier, Frédéric Weis, nâest pourtant pas étonné par la dimension collective de Bonato cette année-là . Il lâa côtoyé lors de son premier passage au CSP (1995-1997) et le pivot français avait décelé les bons germes. « Je ne suis pas surpris par lâattitude de Bonatâ. Ma première année à Limoges, câest lui qui mâemmenait tous les matins à lâentraînement et me posait le soir devant chez moi. Il a toujours été altruiste. En 2000, je lâai suivi très facilement car je savais âquâil ne me ferait pas de malâ », glisse Weis, dans un sourire.
Bonato va emmener les siens au bout, vers un triplé magique, lui qui nâavait encore jamais décroché un seul titre collectif ! Dans un dernier acte presque symbolique, lui lâattaquant né va sâarracher comme un damné en défense sur Jay Larranaga, le shooteur de lâAsvel, lors du match dâappui qui sacre le CSP champion de France le 27 mai (66-78). La bouche ouverte, il cherche lâair, il nâen a plus. « à la fin, il avait des plaques dâhématomes qui sortaient sur ses jambes, comme ça, sans raison particulière, sans quâil nâait reçu de coups», se souvient Frigout. Le joueur est vidé, mais lâhomme est riche désormais. Lors de la présentation des deux équipes de France, peu de temps après dans un vaste auditorium, lâassemblée se lève et lâovationne. « Je me souviens, je ne suis pas bien. On vient de nous sanctionner (le club a été rétrogradé en Pro B) et ces mêmes gens mâapplaudissent. Tu sentais que lâon avait fait un truc et jâen étais le symbole », dit-il.
Quelques mois plus tard, en quarts de finale des JO de Sydney face au Canada, le corps de Bonato va céder. Il se rompt le tendon dâAchille pour avoir tant donné. à lâAsvel, en 2002, il sera à nouveau champion de France. Mais la suite nâa plus rien à voir. « Ce titre avec lâAsvel, câest le devoir accompli », résume-t-il, en une phrase, sans autre émotion. Limoges, en revanche, câest tous les jours, à chaque instant.
Bonato y vit, il est chef dâentreprise, à la tête de dix-sept salariés et de trois magasins franchisés Alain Afflelou. « Vivre, incarner une idée, un club, câest incomparable. Câest la bascule dans ma carrière, ma vie », confesse-t-il. 2000 est la flamme dâune vie, elle ne sâéteindra jamaisâ¦
Un grand club ne meurt jamais.