09-05-2020, 11:11:26
Lâhistoire sur un tas de pierres
Au bord de la ruine en janvier 2000, le Limoges CSP et ses joueurs vont sâattacher à vivre jour après jour, entre réductions de salaires et recherche désespérée de financeurs. Les bases dâun ciment collectif qui mènera le club à un triplé magistral. Avant la relégation en Pro B.
Il est des histoires empruntées à la légende, des gloires écrites sur des lambeaux. La vie du Limoges CSP 1999-2000 est de celles-là . «Personne nâaurait pu inventer cela», glisse aujourdâhui Yann Bonato, premier rôle et capitaine fondamental de ce roman dâune vie. Cette saison-là , ces cinq mois hors du temps entre janvier et mai 2000 racontent sûrement le plus incroyable, la plus insensée des existences dâune équipe française de sport collectif. Au bout, il y a une réussite sportive phénoménale, un triplé magique, avec la Coupe Korac, la Coupe de France et le Championnat, dans lâordre des titres. Au bout, il y a aussi la mort du vieux roi, celui qui promenait sa silhouette altière depuis 1978 en Première Division, et sa domination pédante dans les années 1990 (cinq titres de champion entre 1988 et 1994), sans toujours marcher droit.
Cette saison-là , le Limoges CSP, cathédrale du basket français, champion dâEurope 1993, va partir en fumée, rattrapé par une vie dâexcès, de malversations et de déficits, comme des abcès. La chambre régionale des comptes a ouvert la boîte de Pandore le 22 avril 1999. Pratiques frauduleuses, folie des grandeurs, lâorgane désosse et met à nu. Sur la période 1991-1997, la Saems Limoges CSP est clouée. Le déficit global se monte à près de 30 millions de francs et un homme, particulièrement, est lâobjet de tous les maux : Didier Rose.
Ex-joueur du CSP dans les années 1970-1980, devenu un agent de joueurs à succès et un personnage très influent à Limoges, Rose fait et défait les effectifs. Suspecté dâêtre « dirigeant de fait », il niera toujours cette qualification, admettant seulement avoir été « à la marge » lors des différents procès des comptes du club entre 2003 et 2008, qui le condamneront finalement à trente-six mois de prison dont dix-huit ferme et 75 000 ⬠dâamende au pénal.
Le CSP, qui sort alors de sa plus mauvaise saison sportive depuis 1980 (7e en 1999, éliminé en quarts des play-offs) est dans la nasse. Le 26 octobre 1999, la brigade financière perquisitionne au siège du club. Le 10 janvier 2000, la machine judiciaire est lancée. En trois jours, le SRPJ entend cinq membres majeurs du CSP : Xavier Popelier, président historique ; Jean-Paul de Peretti, président en activité ; Pierre Pastaud, ex-président ; Jacques Valade, vice-président jusquâen 1995 ; et Didier Rose, incarcéré illico le 12 janvier à la maison dâarrêt de Limoges et qui passera vingt-trois jours en prison. Dès lors, la saison bascule dans le noir. Le club ne va plus quitter son lit de mort et ses acteurs sportifs, joueurs et entraîneurs, vont lui offrir les plus sublimes funérailles.
Tous se souviennent de ces premiers jours de janvier. Quand tout sâécroule dans un fracas terrible. Chaque jour à lâentraînement, tandis que Dusko Ivanovic, le coach monténégrin, continue de dicter au bâton les deux séances quotidiennes comme si de rien nâétait, lâéquipe bâtit son jeu sur un amas de pierres. Dans lâéquipe, les jeunes « élèves » de Didier Rose, Stéphane Dumas et Frédéric Weis, sont perdus. « Je suis un gamin de 22 ans. Câest un peu la panique. Didier Rose sâoccupait de tout pour moi et, dâun seul coup, il y a des merdes et le seul mec vers qui je pouvais me tourner ne peut plus me répondre ! En plus, tu as vite des agents qui tâappellent. Les mecs sentent lâodeur du sang », se souvient le pivot limougeaud.
Le club agonise. Juste avant le match face à Ãvreux (16 janvier), on vient clouer le cercueil. Le président Peretti parle alors dâun déficit sur la saison en cours de 10 millions de francs. « Le jeudi soir, câest fini. On nous convie à une réunion pour nous expliquer comment va se passer le dépôt de bilan pour le club et le chômage pour nous », raconte Yann Bonato. « Jâai le souvenir de Peretti, arrivant sur le terrain avant lâentraînement pour nous dire : âOn arrête là , vous pouvez rentrer chez vousâ », poursuit lâintérieur David Frigout. Mais câest là , sur des chairs retournées, que la magie va opérer.
Face à Ãvreux, Beaublanc soudain se rassemble, comme à ses heures glorieuses. Ils sont 5 300 dans le vaisseau et plus rien nâa de sens. Câest un fatras dâémotions, un tapis dâivresse couché sur un état dâurgence. Tous sâaccrochent à un fil, invisible. Limoges gagne (77-69), les joueurs se rassemblent au centre du terrain comme sâils venaient de conquérir le monde ; Fred Weis pleure comme un enfant. Dans ce désespoir sublime, une histoire légendaire est en train de sâécrire. Désormais, câest au jour le jour. Totalement irrationnel. Les caisses sont vides, la procédure en cours. Au moment de quitter Kiev, en Ukraine, après une qualification aisée en quarts de finale de la Coupe Korac, la carte bancaire du club ne passe plus. Le président, Jean-Paul De Peretti, fait au mieux.
En place depuis 1996, il nâavait pas vraiment la vocation. Lâhomme a 55 ans et une belle réussite entrepreneuriale. Mais il semble dépassé par les événements, rattrapé par un démon bien plus gros que lui. Son milieu, câest la rame, lâaviron. Alors il brasse, remue le tissu économique local qui se terre, alerte les collectivités, éternel- les piliers, qui hésitent à se mouiller un peu plus désormais. Peretti nâa pas tous les codes, mais il a le sens du devoir. « Je nâai aucune rancune, aucun regret, résume-t-il vingt ans plus tard. Jâai démarré en étant un homme de bonne volonté. Vous mettrez sur ma tombe : âJP, un homme de bonne volontéâ», clame-t-il.
Une baisse de salaire de 70 % pour Bonato et Weis
Lâhomme est un exalté, un bagarreur. Il gratte ici quelques millions auprès de la mairie, en met un de sa poche aussi, lance une souscription pour offrir quelques jours de vie supplémentaires au club. Mais il se sent un peu seul sur le champ de bataille. « Le bateau était presque vide, parce que tous les rats étaient partis. Jâai été Don Quichotte, du Guesclin, Ivanhoé, Robin des Bois, tout à la fois ! Mais je ne suis pas si couillon que jâen ai lâair. Jâai mis la main dans la machine et je voulais finir. Quand on mâa dit : âM. De Peretti, on sera près de vousâ, là jâai été naïf certainementâ¦Â», relate-t-il aujourdâhui.
Dans le désordre, Peretti redonne de la vie. Celle quâune bande de joueurs souffle tout le mois de janvier, dans le sillage dâun coach imperturbable et dâun capitaine exemplaire. Au-delà du terrain, « Bonatâ », hier attaquant soliste, embrasse la fonction dans ce quâelle a de plus totale. Dans le vestiaire, on lâécoute. à ses hommes, il propose une diminution de salaire, seul pansement étanche pour aller au bout de lâaventure. Tous acceptent, même si les deux Américains, Marcus Brown et Harper Williams, ne sont finalement pas impactés, pas plus que Stéphane Dumas et Thierry Rupert, les deux plus petits salaires de lâéquipe. En revanche, pour Bonato et Weis, les deux mieux payés du lot, câest â 70 % tout de même !
« On sait de quoi il retourne, câest un problème de fric. Alors allons-y ! On nâa pas réfléchi très longtemps, dâautant que lâon gagne », assure le vétéran du groupe, Jean-Philippe Méthélie. Derrière la déflagration du 10 janvier, Limoges enchaîne huit succès de rang en un mois (avant de tomber à Dijon le 12 février), dont un à Pau et un en quarts de finale aller de la Coupe Korac face à Ankara (71-57), qui claquent comme des actes fondateurs.
Le club se disloque, mais Ivanovic et ses hommes nâont quâune seule obsession : aller au bout de lâhistoire. Leur histoire. « Avec Harper (Williams), on voit ce qui se passe, la ville, les fans, toute cette agitation. Mais on voit surtout nos frères dans la bagarre et on nâa pas envie de leur tourner le dos. Je nâoublierai jamais ces moments-là », se souvient Marcus Brown, lâémotion toujours à vif.
Les entraînements sont une souffrance, les soirs sont des angoisses, mais lâéquipe se resserre chaque jour. Les joueurs dînent ensemble et Beaublanc redevient une terre de feu. « Tous les matches, câest lâarène, câest le dernier. En Coupe dâEurope, une demi-heure avant, les gens chantent la Marseillaise. Cette Marseillaise, câétait un cadeau. On sâentraînait pour vivre ça. Câest un moment pour les héros. Ãa dépasse le sportif. On rentre dans un truc mystique. On était prêts à mourir », se souvient Bonato.
En finale aller de la Coupe Korac, face à Malaga, coaché par Bozidar Maljkovic, le sorcier du titre européen de 1993, le CSP tutoie le sublime. Il sâimpose de 22 points (80-58) dans un soir irréel, où lâentraîneur des Andalous quittera le palais des sports sous escorte policière sitôt la fin de sa conférence de presse, pour être entendu dans le cadre de lâenquête sur la gestion passée du club limougeaud.
Au milieu des gravats, les héros avancent. à Malaga, en finale retour, passées sept premières minutes de frayeur et 13 points de retard, le CSP sâincline (60-51) mais décroche la troisième Coupe Korac de son histoire. à lâaéroport de Bellegarde, ils sont plus de 3 000 agglutinés dans le hall. Il est près de 3 heures du matin et la ville ne voulait pas sâendormir avant dâavoir embrassé ses héros.
à Paris, le 30 avril, en finale de la Coupe de France, le CSP maîtrise Paris (79-73) et empile un deuxième trophée. Ce groupe nâa plus dâavenir, chaque promesse est une pièce jetée en lâair, et pourtant il gagne, encore. « On avançait, on était une armée. Comme si tout était parfait dans lâimperfection», raconte Stéphane Dumas.
En coulisses, Peretti sâébroue toujours. Cette fois, il a reniflé une piste asiatique, un consortium bancaire, LangTon, basé entre Hongkong et Singapour, qui promet 40 millions de francs sur trois ans en échange dâune tournée annuelle et de la formation de quelques joueurs nippons. Câest nébuleux, miraculeux. « La piste asiatique a existé, confirme-t-il aujourdâhui. Je suis allé à Saint-Julien, à côté de Genève, avec mon directeur financier (Xavier Bonnafy), qui nâest pas un imbécile. On a rencontré un porte-parole. On a eu un autre rendez-vous ensuite à Paris. Lâargent devait arriver, on avait même reçu quelques jours plus tard un papier nous indiquant que lâargent était en séquestre chez un notaire. » Mais lâargent ne sera jamais verséâ¦
Entre-temps, Limoges sâoffrira une dernière couronne, une mort en apothéose. Un neuvième titre de champion de France, sur le parquet de lâAsvel, lors du match dâappui, le 27 mai 2000 (66-78). Un troisième trophée pour parapher une saison inqualifiable. Avant que le club ne soit recouvert de terre et relégué, un mois plus tard, en Pro B. Le plus fort dans tout cela, câest que le club va se relever. Se noyer encore en 2004, puis ressusciter, pour remporter deux nouveaux titres nationaux (2014 et 2015) ! Comme si une vie ne suffisait pas au CSP.Vingt ans plus tard, les héros nâont jamais vraiment quitté le bord de la route. « Câest la saison la plus invraisemblable de ma carrière. Câest un truc que tu souhaites à tout le monde de vivre. Après cette saison, jâai cherché perpétuellement cela sans jamais le retrouver », confesse joliment Fred Weis. Pour Marcus Brown, cette histoire, ce roman de bravoure, méritait une autre fin. «Cette équipe a été privée dâun grand destin⦠»
Limoges CSP 1999-2000
Président : Jean-Paul De Peretti.
Entraîneur : Dusko Ivanovic (MTN).
Lâéquipe
4. Stéphane Dumas
5. Marcus Brown (USA)
6. Bruno Hamm
8. Yann Bonato
9. Stjepan Stazic (AUT)
10. Zaka Alao
11. Jean-Philippe Méthélie
12. Thierry Rupert
13. Harper Williams (USA)
14. David Frigout
15. Frédéric Weis
16. Frédéric Adjiwanou
Au bord de la ruine en janvier 2000, le Limoges CSP et ses joueurs vont sâattacher à vivre jour après jour, entre réductions de salaires et recherche désespérée de financeurs. Les bases dâun ciment collectif qui mènera le club à un triplé magistral. Avant la relégation en Pro B.
Il est des histoires empruntées à la légende, des gloires écrites sur des lambeaux. La vie du Limoges CSP 1999-2000 est de celles-là . «Personne nâaurait pu inventer cela», glisse aujourdâhui Yann Bonato, premier rôle et capitaine fondamental de ce roman dâune vie. Cette saison-là , ces cinq mois hors du temps entre janvier et mai 2000 racontent sûrement le plus incroyable, la plus insensée des existences dâune équipe française de sport collectif. Au bout, il y a une réussite sportive phénoménale, un triplé magique, avec la Coupe Korac, la Coupe de France et le Championnat, dans lâordre des titres. Au bout, il y a aussi la mort du vieux roi, celui qui promenait sa silhouette altière depuis 1978 en Première Division, et sa domination pédante dans les années 1990 (cinq titres de champion entre 1988 et 1994), sans toujours marcher droit.
Cette saison-là , le Limoges CSP, cathédrale du basket français, champion dâEurope 1993, va partir en fumée, rattrapé par une vie dâexcès, de malversations et de déficits, comme des abcès. La chambre régionale des comptes a ouvert la boîte de Pandore le 22 avril 1999. Pratiques frauduleuses, folie des grandeurs, lâorgane désosse et met à nu. Sur la période 1991-1997, la Saems Limoges CSP est clouée. Le déficit global se monte à près de 30 millions de francs et un homme, particulièrement, est lâobjet de tous les maux : Didier Rose.
Ex-joueur du CSP dans les années 1970-1980, devenu un agent de joueurs à succès et un personnage très influent à Limoges, Rose fait et défait les effectifs. Suspecté dâêtre « dirigeant de fait », il niera toujours cette qualification, admettant seulement avoir été « à la marge » lors des différents procès des comptes du club entre 2003 et 2008, qui le condamneront finalement à trente-six mois de prison dont dix-huit ferme et 75 000 ⬠dâamende au pénal.
Le CSP, qui sort alors de sa plus mauvaise saison sportive depuis 1980 (7e en 1999, éliminé en quarts des play-offs) est dans la nasse. Le 26 octobre 1999, la brigade financière perquisitionne au siège du club. Le 10 janvier 2000, la machine judiciaire est lancée. En trois jours, le SRPJ entend cinq membres majeurs du CSP : Xavier Popelier, président historique ; Jean-Paul de Peretti, président en activité ; Pierre Pastaud, ex-président ; Jacques Valade, vice-président jusquâen 1995 ; et Didier Rose, incarcéré illico le 12 janvier à la maison dâarrêt de Limoges et qui passera vingt-trois jours en prison. Dès lors, la saison bascule dans le noir. Le club ne va plus quitter son lit de mort et ses acteurs sportifs, joueurs et entraîneurs, vont lui offrir les plus sublimes funérailles.
Tous se souviennent de ces premiers jours de janvier. Quand tout sâécroule dans un fracas terrible. Chaque jour à lâentraînement, tandis que Dusko Ivanovic, le coach monténégrin, continue de dicter au bâton les deux séances quotidiennes comme si de rien nâétait, lâéquipe bâtit son jeu sur un amas de pierres. Dans lâéquipe, les jeunes « élèves » de Didier Rose, Stéphane Dumas et Frédéric Weis, sont perdus. « Je suis un gamin de 22 ans. Câest un peu la panique. Didier Rose sâoccupait de tout pour moi et, dâun seul coup, il y a des merdes et le seul mec vers qui je pouvais me tourner ne peut plus me répondre ! En plus, tu as vite des agents qui tâappellent. Les mecs sentent lâodeur du sang », se souvient le pivot limougeaud.
Le club agonise. Juste avant le match face à Ãvreux (16 janvier), on vient clouer le cercueil. Le président Peretti parle alors dâun déficit sur la saison en cours de 10 millions de francs. « Le jeudi soir, câest fini. On nous convie à une réunion pour nous expliquer comment va se passer le dépôt de bilan pour le club et le chômage pour nous », raconte Yann Bonato. « Jâai le souvenir de Peretti, arrivant sur le terrain avant lâentraînement pour nous dire : âOn arrête là , vous pouvez rentrer chez vousâ », poursuit lâintérieur David Frigout. Mais câest là , sur des chairs retournées, que la magie va opérer.
Face à Ãvreux, Beaublanc soudain se rassemble, comme à ses heures glorieuses. Ils sont 5 300 dans le vaisseau et plus rien nâa de sens. Câest un fatras dâémotions, un tapis dâivresse couché sur un état dâurgence. Tous sâaccrochent à un fil, invisible. Limoges gagne (77-69), les joueurs se rassemblent au centre du terrain comme sâils venaient de conquérir le monde ; Fred Weis pleure comme un enfant. Dans ce désespoir sublime, une histoire légendaire est en train de sâécrire. Désormais, câest au jour le jour. Totalement irrationnel. Les caisses sont vides, la procédure en cours. Au moment de quitter Kiev, en Ukraine, après une qualification aisée en quarts de finale de la Coupe Korac, la carte bancaire du club ne passe plus. Le président, Jean-Paul De Peretti, fait au mieux.
En place depuis 1996, il nâavait pas vraiment la vocation. Lâhomme a 55 ans et une belle réussite entrepreneuriale. Mais il semble dépassé par les événements, rattrapé par un démon bien plus gros que lui. Son milieu, câest la rame, lâaviron. Alors il brasse, remue le tissu économique local qui se terre, alerte les collectivités, éternel- les piliers, qui hésitent à se mouiller un peu plus désormais. Peretti nâa pas tous les codes, mais il a le sens du devoir. « Je nâai aucune rancune, aucun regret, résume-t-il vingt ans plus tard. Jâai démarré en étant un homme de bonne volonté. Vous mettrez sur ma tombe : âJP, un homme de bonne volontéâ», clame-t-il.
Une baisse de salaire de 70 % pour Bonato et Weis
Lâhomme est un exalté, un bagarreur. Il gratte ici quelques millions auprès de la mairie, en met un de sa poche aussi, lance une souscription pour offrir quelques jours de vie supplémentaires au club. Mais il se sent un peu seul sur le champ de bataille. « Le bateau était presque vide, parce que tous les rats étaient partis. Jâai été Don Quichotte, du Guesclin, Ivanhoé, Robin des Bois, tout à la fois ! Mais je ne suis pas si couillon que jâen ai lâair. Jâai mis la main dans la machine et je voulais finir. Quand on mâa dit : âM. De Peretti, on sera près de vousâ, là jâai été naïf certainementâ¦Â», relate-t-il aujourdâhui.
Dans le désordre, Peretti redonne de la vie. Celle quâune bande de joueurs souffle tout le mois de janvier, dans le sillage dâun coach imperturbable et dâun capitaine exemplaire. Au-delà du terrain, « Bonatâ », hier attaquant soliste, embrasse la fonction dans ce quâelle a de plus totale. Dans le vestiaire, on lâécoute. à ses hommes, il propose une diminution de salaire, seul pansement étanche pour aller au bout de lâaventure. Tous acceptent, même si les deux Américains, Marcus Brown et Harper Williams, ne sont finalement pas impactés, pas plus que Stéphane Dumas et Thierry Rupert, les deux plus petits salaires de lâéquipe. En revanche, pour Bonato et Weis, les deux mieux payés du lot, câest â 70 % tout de même !
« On sait de quoi il retourne, câest un problème de fric. Alors allons-y ! On nâa pas réfléchi très longtemps, dâautant que lâon gagne », assure le vétéran du groupe, Jean-Philippe Méthélie. Derrière la déflagration du 10 janvier, Limoges enchaîne huit succès de rang en un mois (avant de tomber à Dijon le 12 février), dont un à Pau et un en quarts de finale aller de la Coupe Korac face à Ankara (71-57), qui claquent comme des actes fondateurs.
Le club se disloque, mais Ivanovic et ses hommes nâont quâune seule obsession : aller au bout de lâhistoire. Leur histoire. « Avec Harper (Williams), on voit ce qui se passe, la ville, les fans, toute cette agitation. Mais on voit surtout nos frères dans la bagarre et on nâa pas envie de leur tourner le dos. Je nâoublierai jamais ces moments-là », se souvient Marcus Brown, lâémotion toujours à vif.
Les entraînements sont une souffrance, les soirs sont des angoisses, mais lâéquipe se resserre chaque jour. Les joueurs dînent ensemble et Beaublanc redevient une terre de feu. « Tous les matches, câest lâarène, câest le dernier. En Coupe dâEurope, une demi-heure avant, les gens chantent la Marseillaise. Cette Marseillaise, câétait un cadeau. On sâentraînait pour vivre ça. Câest un moment pour les héros. Ãa dépasse le sportif. On rentre dans un truc mystique. On était prêts à mourir », se souvient Bonato.
En finale aller de la Coupe Korac, face à Malaga, coaché par Bozidar Maljkovic, le sorcier du titre européen de 1993, le CSP tutoie le sublime. Il sâimpose de 22 points (80-58) dans un soir irréel, où lâentraîneur des Andalous quittera le palais des sports sous escorte policière sitôt la fin de sa conférence de presse, pour être entendu dans le cadre de lâenquête sur la gestion passée du club limougeaud.
Au milieu des gravats, les héros avancent. à Malaga, en finale retour, passées sept premières minutes de frayeur et 13 points de retard, le CSP sâincline (60-51) mais décroche la troisième Coupe Korac de son histoire. à lâaéroport de Bellegarde, ils sont plus de 3 000 agglutinés dans le hall. Il est près de 3 heures du matin et la ville ne voulait pas sâendormir avant dâavoir embrassé ses héros.
à Paris, le 30 avril, en finale de la Coupe de France, le CSP maîtrise Paris (79-73) et empile un deuxième trophée. Ce groupe nâa plus dâavenir, chaque promesse est une pièce jetée en lâair, et pourtant il gagne, encore. « On avançait, on était une armée. Comme si tout était parfait dans lâimperfection», raconte Stéphane Dumas.
En coulisses, Peretti sâébroue toujours. Cette fois, il a reniflé une piste asiatique, un consortium bancaire, LangTon, basé entre Hongkong et Singapour, qui promet 40 millions de francs sur trois ans en échange dâune tournée annuelle et de la formation de quelques joueurs nippons. Câest nébuleux, miraculeux. « La piste asiatique a existé, confirme-t-il aujourdâhui. Je suis allé à Saint-Julien, à côté de Genève, avec mon directeur financier (Xavier Bonnafy), qui nâest pas un imbécile. On a rencontré un porte-parole. On a eu un autre rendez-vous ensuite à Paris. Lâargent devait arriver, on avait même reçu quelques jours plus tard un papier nous indiquant que lâargent était en séquestre chez un notaire. » Mais lâargent ne sera jamais verséâ¦
Entre-temps, Limoges sâoffrira une dernière couronne, une mort en apothéose. Un neuvième titre de champion de France, sur le parquet de lâAsvel, lors du match dâappui, le 27 mai 2000 (66-78). Un troisième trophée pour parapher une saison inqualifiable. Avant que le club ne soit recouvert de terre et relégué, un mois plus tard, en Pro B. Le plus fort dans tout cela, câest que le club va se relever. Se noyer encore en 2004, puis ressusciter, pour remporter deux nouveaux titres nationaux (2014 et 2015) ! Comme si une vie ne suffisait pas au CSP.Vingt ans plus tard, les héros nâont jamais vraiment quitté le bord de la route. « Câest la saison la plus invraisemblable de ma carrière. Câest un truc que tu souhaites à tout le monde de vivre. Après cette saison, jâai cherché perpétuellement cela sans jamais le retrouver », confesse joliment Fred Weis. Pour Marcus Brown, cette histoire, ce roman de bravoure, méritait une autre fin. «Cette équipe a été privée dâun grand destin⦠»
Limoges CSP 1999-2000
Président : Jean-Paul De Peretti.
Entraîneur : Dusko Ivanovic (MTN).
Lâéquipe
4. Stéphane Dumas
5. Marcus Brown (USA)
6. Bruno Hamm
8. Yann Bonato
9. Stjepan Stazic (AUT)
10. Zaka Alao
11. Jean-Philippe Méthélie
12. Thierry Rupert
13. Harper Williams (USA)
14. David Frigout
15. Frédéric Weis
16. Frédéric Adjiwanou
Un grand club ne meurt jamais.